A l’occasion du stage exceptionnel à Paris de l’école Hyoho Niten Ichi Ryu (école des deux sabres du fondateur MIYAMOTO Musashi) qui se dérouleraen octobre 2004 avec la participation de IMAI Masayuki senseï,IWAMI Toshio senseï, NAGAMATSU senseï et Colin WATKIN-HYAKUTAKE senseï, je vous propose un interview de l’organisateur et pratiquant expérimenté NGUYEN Thanh Thiên.
1) Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de pratiquer une école de Ken-Jutsu ?
Mon corps a dû apprendre, ma saisie a dû s’affermir, mon esprit a dû s’aguerrir. Cela demande une persévérance et un discernement que l’on affine avec la durée. La Voie est parcourue avec le temps et il ne peut être économisé, abrégé ni négligé.
Certains commencent par le Ken-Jutsu, d’autres font autrement. Il s’agit d’un parcours personnel. Les rencontres qui bornent notre progression ne se décident pas. Nous pouvons tout juste les accepter ou les refuser. La rencontre avec les Maîtres IMAI Masayuki et IWAMI Toshio survint il y a 4 ans.
2) Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui vous a motivé à pratiquer la Hyoho Niten Ichi Ryu ?
Je remercie Diane SKOSS car ses mots ont su toucher une nécessité profonde de ma recherche. L’horizon qu’elle ouvrait, appelait mon regard et conduisait mes pas. Il ne s’agissait pas pour moi de critiquer tel système ou telle tradition pour aller vers quelque chose de plus satisfaisant. Le Ken-Jutsu de la Hyoho Niten Ichi Ryu était devenu un pôle magnétique et un repère dans la Voie. Cela me suffit pour entreprendre un voyage au Japon lorsque les Maîtres m’y invitèrent. Soit je correspondais à leur attente, soit ces leçons n’étaient pas destinées à mon écoute, aussi je ne cherchais pas à leur plaire mais me suis présenté le plus simplement possible. Ils m’acceptèrent. La nécessité d’une telle coïncidence aboutit à l’enseignement qu’ils me prodiguèrent.
3) Qu’elle est la différence entre la Niten Ichi Ryu et la Hyoho Niten Ichi Ryu ?
Pour ma part, je me suis intéressé à l’enseignement que je recevais directement des maîtres. M’intéresser aux différences entre écoles, filiations et interprétations eut été détourner mon énergie de l’apprentissage. Je n’aurais pas eu alors le sentiment d’être à la hauteur des exigences de mes professeurs. Je n’ai donc posé de questions que sur ce qui m’était transmis.
4) Que représente pour vous l’enseignement de Maîtres IMAI Masayuki et IWAMI Toshio ?
Peu nombreux sont ceux qui savent ouvrir des chemins et maintenir le cap. Maîtres IMAI Masayuki et IWAMI Toshio sont de ceux-là.
Le sabre de cette école est pour le néophyte que je suis plein de détails techniques. Mais toutes ces petites choses s’effacent lorsque Maître IMAI Masayuki me dit « Iki Oï ! », pousser l’énergie. Rien ne le satisfait tant que je n’ai pas donné de mes tripes, insufflant plus d’énergie à mes actions. Il ne s’agit surtout pas de paraître car sous leur regard le masque tombe. Leurs yeux me pénètrent bien avant que le sabre ne bouge. Mais l’exigence à ce degré n’instille pas de désagréments. Il s’agit de se vivifier par la pratique.
Parler plus de ce qu’ils m’ont montré, dit et fait entrevoir dépasse la capacité de mes mots. Je peux seulement dire que la maîtrise possède un parfum qui ne peut être contrefait. Je souhaite à ceux qui seront présents au stage de le percevoir car il constitue un encouragement à persévérer. Je peux aussi dire que je ressens la présence de MIYAMOTO Musashi dans ce que j’apprends. Je préfère laisser à chacun le plaisir de découvrir par lui-même. Le stage que nous organisons nous fera goûter et partager avec les maîtres la joie de faire vivre les leçons de MIYAMOTO Musashi.
Je suis un peu embarrassé de dire ce que je pense de mes maîtres. Comme il est difficile et vain pour un alpiniste de parler de l’himalayisme, il m’est impossible de parler de mes maîtres mais plutôt de ce que je reçois d’eux. Pour ceux qui ne les ont pas rencontrés, je peux dire que Maître IMAI Masayuki est par ailleurs 8e dan de Kendo. Lorsque je fus présenté à Maître KONDO Katsuyuki, sohke du Daïto Ryu de feu TAKEDA Sokaku,Maître KONDO tint à témoigner tout le respect et la haute estime qu’il avait pour Maître IMAI.
Maître HIGASHIYAMA, membre de la Kurama Ryu, 7e dan de Kendo et qui a été membre de la Police Métropolitaine de Tokyo, me dit un jour que la Hyoho Niten Ichi Ryu était une école difficile, ce qui signifiait plus encore dans ses propos. Ces témoignages révèlent tout autant le respect que ces maîtres se portent mutuellement.
5) Le stage que vous organisez en octobre 2004 avec IMAI Masayuki senseï, IWAMI Toshio senseï et Colin WATKIN-HYAKUTAKE senseï est historique, avez-vous eu des difficultés pour le mettre sur pied ?
De plus, le plaisir de partager la connaissance et d’accueillir la maîtrise balaient tous les petits tracas. Cependant, je dois dire la compréhension de mes interlocuteurs devant la grandeur de l’enjeu. Chaque difficulté révèle de nouveaux soutiens et provoquent des rencontres.
Je suis heureux que la France et l’Europe soient une terre d’accueil pour les Koryu. Cela grandit la France que de recevoir ces maîtres et approfondit notre compréhension du Japon que d’entendre leurs leçons.
6) Que pensez vous du livre « MIYAMOTO Musashi, par TOKITSU Kenji ?
J’ai invité Maître TOKITSU à ce stage et il m’a fait l’honneur d’accepter.
Je voudrais juste ajouter que Maître TOKITSU a atteint une certaine maîtrise. Il a ajouté à cela une étude approfondie du sujet qui cerne Musashi par rapport à la Voie du sabre. Il a rencontré des maîtres qui ont témoigné de leur compréhension. Il s’est donc placé en mesure d’émettre des avis autorisés. Pour cela, je le remercie.
Toutefois, je tiens à rappeler que les exercices de critique et du jugement ne peuvent se faire que s’ils sont entourés de toutes ces garanties de sérieux. J’entends et je lis trop d’opinions ni fondées et ni appuyées sur une réelle connaissance de l’art, de l’école ou de la personne visée. Le silence est alors une prudence qui doit circonvenir l’ignorance volubile.
Pour ma part, j’invite mes élèves à faire attention aux avis qu’ils peuvent énoncer. Un avis doit toujours être adressé directement aux plus éminents représentants des disciplines et écoles incriminées et non aux élèves débutants.
Les maîtres quant à eux se gardent d’une parole qui ne serait pas juste. En cela, imitons-les.
7) Pourquoi avoir fondé l’association L’Enfance de l’Art (http://eastward.nitenryu.org/) ?
Un lieu et un temps sont nécessaires à la pratique commune, à l’existence d’une école, à la transmission d’un art. Le Dojo, maison de la Voie, offre cette opportunité, cette conjonction des conditions favorables. Musashi s’entraînait en extérieur. Aujourd’hui, dans nos villes, avec notre emploi du temps, cette forme d’entraînement est devenue difficile, voire impossible.
Notre association « L’Enfance de l’Art » propose une recherche technique mais aussi une approche sensiblement différente. Musashi dit qu’il a traversé la montagne pour trouver l’homme, qu’en dépassant la maîtrise, il a rencontré l’humain.
Nous essayons de ne jamais soumettre l’humain à la technique, l’attraction à la contrainte.
D’autres dojos fondent leur démarche sur d’autres bases. Telle est la richesse des arts martiaux en France.
8) Les activités de L’Enfance de l’Art s’adressent aux enfants dès 4 ans et aux adultes, pouvez-vous nous en dire plus sur ces activités ?
Prenons l’exemple du dressage des chevaux. Rien n’est enseigné au cheval qu’il ne fasse naturellement dans les prés.
Tous les pas et toutes les attitudes sont issus de son langage corporel. A l’instar du cheval, l’enfant puise en lui-même, en son répertoire gestuel, tous les outils de son perfectionnement. Sa recherche n’est plus tournée vers le maître qui serait alors l’origine de toutes connaissances nouvelles.
Nous poussons l’enfant d’abord à faire par lui-même, puis à saisir ce qu’il fait et ensuite à poursuivre l’amélioration de ces actions. Pour cela, nous passons par le développement de sa propre sensibilité. Ressentant mieux l’exercice, l’enfant est appelé par cette dernière à reconnaître l’intérêt des avis de l’enseignant.
L’activité de l’élève le pousse de manière prédominante à s’élever. La devise de notre école pour les enfants est « Grandir, c’est aussi s’élever ».
La mise en mot d’une expérience pédagogique donne une image sèche et rébarbative alors que l’étude des principes de vie, selon les mots de Confucius, est faite de plaisir, de joie et de partage.
Les adultes demandent un cadre plus formel que les enfants. Le niveau des explications et de la complexité des techniques est d’une qualité toute autre. Mais l’accès au perfectionnement passe par les mêmes ascensions, les mêmes cols et les mêmes passages périlleux. La sensibilité permet de ressentir l’action juste.
La sensibilité autorise de trouver la justesse dans le temps de l’action. La pensée ou toute explication verbale pourrait nous faire voir cette technique par le dehors. Il s’agit plutôt de sentir le mouvement comme on ressent la piste à ouvrir. S’il faut des mots, alors ceux-ci doivent être à même de nous éveiller au parfum de la Voie, au parfum du passage de nos prédécesseurs.
Nous ne pensons pas tant transmettre que répondre. Et répondre à un adulte ou à un enfant exige une sincérité identique. La méthode cartésienne nous invite à diviser pour simplifier un problème, ex : l’adulte/l’enfant, mais une telle démarche dans la pédagogie des arts martiaux crée des oppositions stérilisantes. Il n’y a pas plusieurs façons de répondre. « Cœur sincère, voie droite », telle est l’attitude que nous prônons tant devant les questions des élèves que des nôtres.
9) Vous avez enseigné l’Aikido et le Judo aux enfants ainsi que l’Aïkido aux adultes, quel regard avez-vous sur l’enseignement martial en Occident ?
L’enseignement martial existe en Occident depuis longtemps. J’ai des amis parmi les Maîtres d’armes français et espagnols. Des stratèges enseignent dans les écoles militaires. L’enseignement dont vous voulez parler est, me semble-t-il, celui des arts martiaux extrême-orientaux.
Je crois que nous assistons à un moment extraordinaire où un continent de pensée vient buter contre un autre continent de pensée. Il s’agit pour moi d’un de ces temps où l’homme est invité à écrire son histoire. Tous les possibles s‘ouvrent à l’exploration. Des maîtres tentent de nouvelles synthèses, des écoles s’essaient à des syncrétismes radicaux, des voies s’avèrent sans issue. Nous connaissons le temps des pionniers. Nos successeurs bâtiront sur nos efforts et comprendront qu’il a fallu beaucoup de tentatives pour trouver la voie juste vers la compréhension des arts japonais. Je comprends et suis heureux de cette diversité qui nous fait accueillir ces anciennes écoles japonaises elles-mêmes nombreuses et variées. L’Inde butant contre le continent asiatique souleva l’Himalaya. Je me demande vers quelles hauteurs la rencontre avec l’Extrême-Orient hissera notre civilisation.
La Voie du sabre s’inscrit dans cette rencontre de traditions. D’ailleurs, des Maîtres d’armes européens accueilleront les Maîtres IMAI Masayuki et IWAMI Toshio lors de leur séjour en France.
Dans mon enseignement, je tente toujours de concilier les leçons avec les idées que je glane auprès des Maîtres du passé. Je tente de réaliser une concordance avec les leçons qui nous sont parvenues.
Porter un regard sur l’enseignement des autres commence par les rencontrer et je me suis toujours enrichi de ces rencontres. Parfois, il m’est arrivé de ne pas m’entendre avec une recherche. Mais je crois que nous n’avons pas à apprécier tout le monde ni à exiger qu’on nous apprécie. Sur nos valeurs, je prône une intransigeance qui n’est pas de l’intolérance. Il faut savoir quand nous ne voulons plus accepter une direction qui nous semble contraire avec ce qui nous apparaît juste. Il faut aussi reconnaître que nous sommes personnellement et intimement sujets à l’erreur.
10) Je vous laisse le mot de la fin et vous remercie pour les instants que vous avez bien voulu m’accorder.
Merci au site lebujutsu.net et à Tcha, son animateur, pour la qualité de son travail. Tous ensemble, nous participons à vivifier l’arbre des budos et des bujutsus."