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Portrait et personnage - Deuxième interview de Nguyen Thanh Thiên pour le Bujutsu.net.new_28x11.gif

  Interview de Nguyen Thanh Thiên pour le Bujutsu.net.

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Iwami soke et son élève Nguyen Thanh Thiên,
préparation à la démonstration annuelle des koryu à Itsukushima Jinja, 2005.
© Reproduction interdite tous droits réservés.
Photographie de Bruno de Hogues

Vous enseignez au sein de l’école d'arts martiaux "La Ki School", pouvez-vous nous en dire plus sur cette école ?

 

Mon école est issue d’une histoire, celle d’un engagement dans la Voie des Arts Martiaux.

J’ai étudié les arts martiaux depuis l’âge de 8 ans et j’en ai aujourd’hui 47. J’ai donc bientôt passé 40 ans sur les tatamis ! J’ai suivi l’enseignement de professeurs dans différentes disciplines et tous m’ont énormément apporté. Certains m’ont montré une Voie que je voulais suivre, d’autres m’ont indiqué ce que je ne voulais surtout pas faire. Ces deux types d’enseignement, une voie positive et l’autre négative, sont à la fois indispensables et inévitables. Bien sûr, les options que nous rencontrons dans la réalité ne se révèlent pas aussi tranchées mais notre inclination profonde vers tel ou tel chemin tranche pour nous.

A la suite de 17 années passées avec un même professeur, j’ai décidé de quitter son dojo pour tenter l’aventure de la création d’une école. Je sentais que l’heure était venue de prendre la responsabilité d’enseigner, d’ouvrir une piste, de dégager une Voie, de répondre à l’appel des Anciens. Je dois rappeler qu’au sortir du lycée, j’avais opté pour des études de chinois à l’Institut des Langues Orientales à Paris, à l’époque à la Faculté de Dauphine. Malgré le peu de progrès dans l’étude de la langue, je me plongeais dans l’étude du monde chinois. Nous étions en 1980. Je commençais en même temps  à approfondir les arts martiaux à Enghien-les-Bains avec Maître Lucien Forni puis en supplément avec Noro senseï à Paris. Je n’ai cessé d’approfondir en parallèle ces deux chemins, des parallèles qui se sont bien souvent croisées !


Avec quelle intensité avez-vous pratiqué ?

Les 17 années qui suivirent furent dédiées à l’étude de la Voie sous la forme Wen et Wu comme disent les Chinois, culture et art martial, Bun et Bu en japonais. Je pratiquais tous les jours, soient 365/365, étant l’uke de mon professeur et son assistant pour les cours enfants et adultes. Au bout de 3 ans, je passais à une pratique intensive. Je me souviens que je me réservais en plus de tous les déplacements à genoux que nous faisions déjà pendant les cours, 1 heure de suwari wasa toutes les semaines, cela faisait environ une centaine d’aller-retours dans le dojo. Je m’arrêtais alors parce qu’il fallait ménager les fissures sous les orteils ! Je répétais par centaines puis par milliers les mouvements de bases. J’ai goûté au travail du bokken, du jo, du bo, du saï, du tonfa, du nunchaku ! J’étais intéressé par apprendre et comprendre. J’ai même fait du bo dans mon petit salon avec fauteuils et table basse … Je voulais connaître les différentes distances, les rythmes de chaque instrument, la distinction entre ligne droite, cercle, ligne brisée, etc. Je raconte cela pour que l’on comprenne qu’il ne faut pas ménager ses efforts si l’on veut devenir enseignant d’arts martiaux. On m’a souvent traité de monomaniaque mais je pense qu’il faut faire beaucoup pour pouvoir légitimement demander beaucoup à ses élèves. Pour cette raison, je ne critique jamais un enseignant car je connais la dose qu’il faut pour mériter cette appellation. Quant à ceux qui ne vont pas jusqu’à ce niveau d’exigence, eh bien, je dirais que nous ne visons pas la même chose mais je ne leur jetterai certainement pas la pierre tant la difficulté est grande.

 

Vous nous parlez des wasa (techniques), mais qu’en est-il de l’apprentissage du reishiki (étiquette) ?

Cet entraînement solitaire n’était pas suffisant car il me fallait rechercher avec d’autres tel ou tel aspect de la technique, approfondir le travail d’uke et celui de tori, vérifier que l’extérieur est bien le miroir de l’intérieur. Je créais donc mon école que je nommais d’abord « L’Enfance de l’Art » et aujourd’hui « La Ki School ». Au début, je rejetais un peu le reishiki, l’étiquette, mais j’en ai vite payé le prix ! Les élèves ne savaient plus garder leur place et les egos enflaient dangereusement. Graduellement, j’ai compris la nécessité du reishiki et des leçons que le rituel délivre à ceux qui savent écouter et voir. Pour apprendre le reishiki, il suffit d’observer les plus anciens et le maître. Et de pratiquer. Lorsque l’attitude de l’élève est juste, alors des précisions lui sont données sinon, les sempaï attendent que l’esprit de l’élève soit prêt. Autrement, le reishiki est vécu comme une astreinte, une limite à l’expression individuelle, un vestige de l’obscurantisme des aînés. Le reishiki est une avancée, un enseignement, une ouverture. Il revient à l’enseignant d’en faire quelque chose de vivant.

 

Pourquoi avez-vous nommé vos écoles de cette façon, « L’Enfance de l’Art » puis « La Ki School » pour le moins atypique dans les arts martiaux ?

L’enfance de l’art renvoie très directement à l’expression « c’est l’enfance de l’art » qui signifie : c’est la simplicité même. Dans une époque où l’autorité et l’expertise échappent au questionnement en invoquant la complexité, j’ai maintenu le cap sur une recherche visant le dépouillement. A une question qui m’était posée « Avez-vous compris ? C’est compliqué n’est-ce pas ? », je répondais « Soit j’ai compris, soit je n’ai pas compris mais si je dis que j’ai compris et que c’est compliqué, alors, c’est que je n’ai rien compris ». Le Vénérable Walpola qui écoutait cet échange, intervint d’un mot « Oui ». La 2ème raison est que ce sont les enfants qui les premiers affluèrent dans mes cours alors que je me destinais avant tout à devenir professeur pour adultes. Ceux-ci vinrent plus tard. La 3ème raison est que pour moi, il n’y a d’art que dans un esprit d’enfantement. La Ki School est la prise en compte que même si nombre de mes élèves appartiennent à la communauté cosmopolite de l’Ile de France, j’enseigne en France – ceci pour La Ki School – et que l’unité entre les deux disciplines que j’enseigne, est l’étude du Ki,

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Votre école est originale par sa double ascendance : Miyamoto Musashi et Ueshiba Moriheï senseï ! Pourriez-vous nous dire comment vous en êtes arrivé là ?

Mon parcours dans les budo concrétise une volonté d’enfant. Vers l’age de 12 ans après avoir vu Kote Gaeshi dans un cours d’Aikido, j’ai décidé de faire cela quand je serai grand. En 1980, l’année de mes 18 ans, je découvrais le nouvel enseignement de Noro senseï tout juste créé depuis quelques mois. Vers 1995, j’émis le vœu d’étudier une ancienne école japonaise. En 1999, je réalisai ce vœu et étudiai la Hyoho Niten Ichi Ryu auprès de Ricard Pous Cuberes puis des Grand-Maîtres de cette école.

 

J’ai eu de nombreux rêves mais j’ai le sentiment que seuls ceux qui me correspondent profondément se réalisent. Je ne sais pas si c’est explicable mais j’ai la conviction d’être fait pour ces disciplines et ne suis pas sûr que le hasard ait sa place dans cette histoire.

Nous transmettons deux lignées d’enseignement : celle de Miyamoto Musashi senseï par Iwami soke et celle de Ueshiba Moriheï senseï par Noro senseï.

Commençons par la dernière. J’ai été reconnu enseignant par Noro Masamichi senseï et cela est pour moi une grande fierté. Noro senseï est un des uchi-deshi de Ueshiba senseï. Il a été envoyé en Europe par son maître en 1961 pour développer l’Aïkido en Europe et en Afrique. Son titre était « Délégué officiel pour l’Europe et l’Afrique ».

Quand je regarde les anciennes photographies, sa forme de corps était déjà bien distincte à son arrivée ! Ce qui est devenu l’art que je pratique me semble déjà perceptible sur ces images noir et blanc. J’imagine que le regard aiguisé du maître de mon maître avait su voir et prévoir son évolution. J’aime à penser que l’arbre n’échappe pas à la promesse de la graine. Aujourd’hui, je préserve, développe et actualise l’étude de cet art au sein d’une communauté d’enseignants. Mais par mes études sur le monde chinois puis extrême-oriental, je ne puis percevoir cette communauté qu’étendue à l’ensemble des enseignants d’arts martiaux de mon temps que je nomme classe d’âge. Ce concept, je l’ai emprunté à la Futuwa [branche du soufisme qui est une lecture mystique du Coran] selon Faouzi Skali qui le nomme Waliya, la Camaraderie (comme on dit la confrérie) ou Classe d’âge. Souvent défini comme opposé à l’Aïkido parce que s’en étant démarqué, l’art que j’enseigne, je le présente comme l’enseignement que Noro senseï a reçu de son maître.

 

 

Comment définissez-vous l’art de Noro senseï que vous enseignez ?

Ici en Extrême-Occident, j’ai découvert qu’on identifie une chose en l’opposant à une autre et on l’appelle contraire, opposé, divergent ou dissident. D’où je viens, en Extrême-Orient, l’identité est affirmée par appartenance, dérivation, filiation. L’ascendance de mon enseignement passe par Ueshiba senseï et auparavant par le Daïto Ryu avec Takeda Sokaku senseï. J’ai d’ailleurs eu l’honneur de rencontrer Kondo Katsuyuki soke, Grand Maître du Daïto Ryu qui était lui-même un fervent admirateur de Imaï soke, 10e Grand Maître du Hyoho Niten Nichi Ryu. Mon enseignement se réfère à une lignée de transmission. C’est comme cela que je vis son identité.

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Nagaoka senseï, Iwami soke et Nguyen Thanh Thiên au Dokugyo-an, le hombu dojo, 2006.
© Reproduction interdite tous droits réservés. 


 

La définition ne peut caractériser un art. L’art comme la Voie n’est pas de l’ordre du fini ni du défini. Perpétuellement en mouvement, il est un geste en gestation, une forme appelée à être brisée comme on brise les idoles. Enseigner un art, c’est apporter le feu et porter l’épée. C’est fragmenter la lumière pour en préserver l’éclat. Concrètement, mon enseignement tend à « se remémorer, ne pas oublier, ne pas changer ». Tout aussi prosaïquement, je dois mesurer l’audition et la vue de mon temps, l’attente de mes élèves et de cette génération. Il me faut pénétrer le formalisme des techniques transmises, persévérer vers le cœur mouvant de la Voie et dissoudre le fond lui-même au point de ne pouvoir poser le pied. Je reprends ici un poème de Wang Wei :

 « Nuages Blancs se retourner contempler unir

Rayons verts pénétrer persévérer dissoudre »

Karen Blixen dans « La Ferme Africaine » rapporte la devise de son ami, « Je répondrai ». Cette maxime m’a inspiré car elle prône une pratique et une éthique de la responsabilité, respons-abilité.

Dans l’enseignement de Noro senseï, il y a une mise en avant de la lenteur. Dans le Tai Ji Quan Chen de Maître Wang Bo, il y a une alternance du lent et de l’explosif. Dans le Kenjutsu de la Hyoho Niten Ichi Ryu avec Iwami soke, le seiho commence avec une intensité tout en réserve puis explose. Vous avez étudié ces disciplines auprès de ces grands maîtres. Comment articulez-vous lenteur et rapidité ?

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Nagaoka senseï, Iwami soke et Nguyen Thanh Thiên
Après le keiko, le maître et ses élèves, 2006
© Reproduction interdite tous droits réservés

J’enseigne ce que j’aime : effort, persévérance et attention. Dans mon école, nous commençons par des déplacements, des ukemis – je nomme ukemis toutes les manières de rencontrer le sol : avec le pied, le dos ou l’avant du corps – et des mouvements. Nous tenons à garder une qualité naturelle au geste, en passant d’un corps naturel shizentaï à l’esprit naturel shizenshin. Mais pour approfondir la technique, nous recourons parfois à une certaine lenteur. Cependant, cette lenteur doit garder toutes les qualités de la rapidité sans quoi il devient impossible de passer de la lenteur à la rapidité. Il ne faut pas scinder l’étude du Tao en deux parties opposées. Les contraires doivent évoluer régulièrement et imperceptiblement l’un vers l’autre. Il faut un enseignant expérimenté pour percevoir et garantir que dans le lent se trouvent les germes du rapide et dans le rapide demeurent les vertus du lent. Il faut avoir beaucoup pratiqué tant extensivement qu’intensivement pour se prémunir d’un manichéisme simpliste. Une fois que l’élève a intégré la lenteur, alors commence l’apprentissage de la rapidité, de l’endurance, de la volonté. On peut s’enliser dans la lenteur comme on peut s’illusionner dans la rapidité. On peut apprendre de la lenteur et se perfectionner dans la rapidité. L’enseignant doit partager avec l’élève sa compréhension des « germes de la rapidité » et des « vertus de la lenteur » pour harmoniser l’étude du Budo.  L’étude du Tao trouve sa place et à la tortue et au lièvre. Sinon, ce n’est pas une étude sérieuse.

Mais je voudrais revenir encore une fois à ce que les maîtres anciens nous ont légués. Nous l’appelons techniques, wasa, mouvements, je préfère seiho « conduite de l’énergie » ou « conduire le souffle ». Si je considère la technique comme moyen ou manière de mobiliser l’énergie, alors nous pouvons faire le seiho en début, milieu ou fin de cours. En début, le seiho permet de travailler le souffle, l’ouverture des méridiens, l’assouplissement des tendons et des muscles, les appuis et leur séquence, etc., idem pour le milieu et la fin. Ce qui change sont le rythme et l’attention portée sur tel élément ou tel domaine. Souvent, on retient certains exercices exclusivement pour ouvrir le cours, d’autres pour le milieu et encore d’autres pour la fin. Je crois qu’un seiho peut à la fois servir à l’introduction, au développement et à la conclusion. Un seiho possède en soi les qualités pour répondre à toutes les interrogations du pratiquant et de l’enseignant.

Je ne pense pas qu’il y ait une absolue nécessité de recourir aux théories comportementalistes, aux psychologies New Age, aux anti-gymnastiques, aux gymnastiques chinoises, aux yogas, aux spiritualités orientales, aux apologies du Vide et de la Non-conscience, etc.  Je recherche, après avoir vu ce que d’autres disciplines ont su élaborer, des possibilités analogues au sein même des seiho. Je crois fermement qu’il faut se rapprocher du cœur de notre discipline. Il faut interroger le kokoro (cœur) de la voie qui nous a été transmise. Chaque seiho, par exemple : Ichi, Shiho Nage, Sankajo, Yama Arashi, Men Tsuki, Gedan Baraï ou Nagashi Uchi, peut devenir l’ouverture, le développement ou la sortie du cours. Il peut aussi éveiller le corps, ouvrir les méridiens, conduire le souffle. Il peut muscler et assouplir. S’il faut s’intéresser aux autres disciplines, nous ne devons pas mésestimer le legs de nos maîtres. Il nous faut fourrer notre nez dans son foisonnement de potentialités. Sinon, nous serions tels ces personnages quémandant l’aumône avec un bol en or ! Je ne m’imagine pas avoir l’esprit mendiant devant les autres enseignements, les autres dharma.

 

Je comprends ainsi l’histoire suivante : 3 maîtres discutent d’un point du dharma. Ils viennent de tomber sur une grande vérité. Sur le champ, ils se précipitent pour retourner qui à son ermitage, qui son monastère, qui son emploi laïc. Ils sont dans l’urgence d’appliquer à leur domaine le principe dégagé par leur discussion. Mais imaginons qu’ils ne retournent pas dans leur ermitage, monastère ou emploi laïc, que chacun quitte son lieu d’étude, son dojo d’origine pour s’en aller au mieux offrant ou au mieux parlant. Si les moines bouddhistes ont le devoir de recourir à la mendicité pour assurer leur pitance, ils ne recourront jamais à l’aumône pour leur dharma. Il faut rester fier de sa lignée de transmission. On peut et doit s’enrichir de l’expérience des autres mais on doit ensuite revenir dans son dojo. Ecouter nos maîtres, c’est aussi percevoir à travers l’entendement des autres ce que nous-mêmes n’avons su entendre directement … et certainement, c’est ensuite revenir en toute hâte sur les pas de nos maîtres, dans la Voie du Budo.

 

Sur une de vos vidéos, on vous voit faire des mouvements de base et des Koshi Wasa ou Kokyu  Wasa. Comment enseignez-vous l’évolution des bases vers les complexes ?

Par malheur, mon intérêt pour l’étude me pousse parfois à passer 2 ou 3 heures sur une seule technique. Heureusement, mes élèves ne s’ennuient pas devant les nombreuses facettes d’un seul mouvement. Je reviens toujours aux bases pour aborder et expliquer les techniques complexes. Les Koshi Wasa ou les Kokyu Wasa, techniques de hanche ou de souffle, ont leurs clés dans les bases. Le propre des fondamentaux est de garder la porte ouverte à toutes les évolutions techniques. Là aussi, je vois des filiations : le premier mouvement engendre le second ; chaque ouverture dans une base donne accès soit à une technique de retournement, soit à un enchaînement ; une fermeture ouvre à un changement de direction ; etc. A un niveau avancé, la base est un travail sur les changements, les mutations, les transformations. La base devient une porte ouverte sur les non bases. D’ailleurs, quand j’entends « Enchaînez ! », je comprends « Déchaînez ! » …

 

Avez-vous une pédagogie différente selon que vous enseignez à des adultes ou à des enfants ?

Je rappelle que je ne fais pas de pédagogie. Elle est déjà constituée à l’intérieur des exercices que les maîtres nous ont légués. Ils constituent à la fois les directions routières et les bornes kilométriques au long de la Voie. L’enseignant est poussé à intervenir plus mais ce faisant, il se substitue à la transmission qui dort dans les techniques. Il faut au contraire que l’élève réveille cette connaissance, qu’il embrasse cette endormie, qu’il procède à une archéologie du savoir.

La seule pédagogie que je reconnaisse dans les arts martiaux est le seiho lui-même, littéralement « conduire l’énergie » : la technique. La technique est le lieu où les maîtres ont déposé leurs connaissances. Le budo, Voie des Arts Martiaux, étudie le Tao à travers la perception des principes et les principes sont manifestés par les techniques. Si l’étude prend pour point de mire les techniques, si la pédagogie est une préparation à l’acquisition de gestes, si le professeur doit rendre abordable le mouvement, alors quand aborde-t-on le budo et ses principes ? Je pense qu’il faut laisser à la technique toute sa difficulté car elle est elle-même un enseignement. Un nouveau venu m’a déjà dit que mon enseignement était difficile. Je lui ai demandé qu’il me nomme un art martial facile …

Ce qui distingue le cours adultes du cours enfants, n’est surtout pas l’attitude. Elle est identique face à l’autre, qu’il soit il ou elle, petit ou grand. A chacun, je réponds exactement à la question posée. Il ne s’agit plus de transmettre une parole ou un geste. C’est comme un mondo, échange libre de question/réponse dans le Zen. La question a lieu ici et maintenant. Tout pareillement, la réponse doit fuser.

Ce qui distingue le cours adultes du cours enfants est que répondant aux demandes de chacun, je réponds aux enfants par une construction du corps plus accentuée et des histoires de tigre et autres, et aux adultes par une incorporation de la technique et des citations culturelles qui façonnent la posture,  le kamae. Mon travail d’enseignant est surtout dans le cadrage, la mise en perspective des efforts. Voici quelques exemples.

J’encourage un enfant qui a heurté et fait mal à un autre à s’excuser. Je lui offre à ce moment une sortie du conflit qui passe par la parole. Je crois que l’acte intervient quand la parole est épuisée. Devant l’inacceptable, il faut recourir à tous les moyens possibles pour résoudre le problème. En dernier recours intervient le geste. La renonciation devant l’intolérable n’est jamais une option justifiable ni tenable. Pour cela, j’encourage les élèves enfants et adolescents à bien parler, à bien penser à bien écouter. Ainsi, je ne fais qu’actualiser les recommandations des anciens traités de stratégie chinois.

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Saint-Brice-sous-Forêt 2004: 70 personnes de toute l'Europe suivent l'enseignement de Iwami soke, 11e successeur de Musashi.
Photographie de Bruno de Hogues
© Reproduction interdite tous droits réservés

Chacun évolue dans son monde. Je dois faire attention à répondre à l’enfant en restant dans son univers. Certains enseignants introduisent parfois des angoisses ou des enjeux qui appartiennent plus au monde des adultes. Je me souviens d’une personne qui faisait rater les doués et réussir les moins doués pour rétablir une forme de justice ! L’enseignement n’est pas une utopie ni une uchronie : il a lieu ici et maintenant !

 

D’autres refusent que les doigts se ferment en une saisie car la saisie serait une domination ! Si tout cela est vrai, coupons les têtes qui dépassent et les doigts dominateurs …

 

Il m’est arrivé qu’une personne vienne pour se perfectionner dans l’enseignement aux enfants. J’ai d’abord refusé de former cet enseignant car j’avais déjà eu affaire à des visiteurs qui repartaient au bout de 2 ou 3 cours pensant avoir suffisamment compris ! Il a insisté et accepté de suivre une formation sur une période de 2 voire 3 ans. Après 5 mois, il est parti sans explication. Un élève le revoit peu après et lui demande les raisons de son départ. Il répond : « Je ne sais pas. » Dans ce cas, si on ne sait pas pourquoi on arrête, il ne faut pas commencer ! – Au 19e siècle, Kano senseï, fondateur du Judo, engageait par un serment ses ceintures noires à n’arrêter l’étude que pour des raisons graves - Les budos et plus encore les enfants méritent une attitude sérieuse et responsable. En France, nous avons une longue et riche expérience d’enseignement des budos aux enfants. J’invite les futurs enseignants à consulter ces professeurs chacun dans sa discipline … mais avec sérieux et décence.

 

Je ne crois pas qu’il faille préparer les adultes qui débutent à se préparer à la préparation. Je trouve l’infantilisation humiliante. L’exigence du professeur est un compliment à l’effort de l’élève.

Je ne donne pas d’explication technique préalable. Mitori keiko, travailler les yeux, est une notion nécessaire du budo. Le Bouddha dit dans un soutra : « Voir et comprendre ». Mais attention, voir en Asie peut signifier pratiquer au point de faire de notre corps un organe de perception, travailler jusqu’à ouvrir l’œil de la pratique, éprouver le keiko jusqu’à « contempler le son du Monde » (voir Dôgen de Yoko Orimo). Pour ça, il faut suer et accueillir les courbatures !

Les cours enfants se caractérisent par une atmosphère ludique et des exercices qui construisent le corps. J’éveille les élèves à la supériorité de la force qui construit par rapport à la force qui détruit. Je leur donne comme exemple qu’une maison peut être explosée en une seconde mais aucune maison ne peut être réalisée en si peu de temps … même par l’homme le plus puissant du monde. Je distingue ainsi deux  forces et expose que mon enseignement s’attachera à la première force. Je leur rappelle la parole de Sasamori Takemi senseï, soke de l’Ono Ha Itto Ryu : « La vraie force est dans la douceur. »

Je voudrais dire un petit mot sur l’autorité. Aujourd’hui, un bon enseignant est celui qui a de l’autorité, celui qui obtient le silence et l’écoute. Je refuse cela. Je pense que je ne commence à enseigner que lorsque l’écoute est présente. Je ne dois pas faire de discipline. Quand il y a trop de bruit, j’arrête le cours.

Je me suis rendu compte que lorsque je répétais les paroles de mon professeur, quand je reproduisais les postures ou les actes de mon maître, les élèves perdaient tout intérêt à mon cours. Ils redevenaient attentifs dès que j’exprimais ce que je pensais profondément, à l’instant où mon regard rencontrait leur présence, au moment où je répondais en sincérité à leur question. J’ai compris que l’autorité est bien la qualité de celui qui est auteur de ce qu’il dit, acte ou posture [cf. Georges Steiner, author-ity]. Il s’agit d’une double écoute : écoute de soi et de l’autre.

Cette attitude permet d’échanger en vérité mais ne suffit pas pour garantir que ce que l’on fait est fidèle à la Voie des Arts Martiaux. Cette garantie peut être obtenue par la fréquentation des cours et des maîtres. Mais selon la manière traditionnelle, à un moment, par l’astreinte quotidienne à la discipline de l’art, l’étude se substitue à l’étudiant, la connaissance à la personne. Il y a alors une incorporation du savoir qui fait que les actes, gestes et postures du professeur sont autant de discours de l’art martial. Il s’agit de constituer un corps enseignant au sens premier du terme – cf. le texte de Confucius où il relate les changements de l’âge - .

Mes cours enfant s’attachent à former le corps. Ceci est une nécessité dans les arts martiaux. La force doit nous accompagner jusqu’au grand âge. Ce sont les ans qui affinent cette force. Elle doit s’épanouir en puissance, courage, intelligence et gentillesse. J’ai d’ailleurs écrit une histoire des « 4 pattes magiques du Tigre » pour exprimer cela. Pour former le corps des adultes, je recours aux bases techniques, mais travaillées et retravaillées longuement pour assouplir, tonifier, équilibrer.

Les adultes vivent une partie de leur journée au travail et viennent ensuite à mes cours. Leur environnement gestuel, émotionnel et intellectuel est fort différent de celui des enfants. Les enfants qui sont en mode d’apprentissage offrent une attente plus ouverte alors que les adultes qui sortent d’un fonctionnement en mode de production doivent se garder de révéler des erreurs, des fautes ou des faiblesses. Dans mon école, nous travaillons sur l’erreur que nous comprenons, déconstruisons et rectifions. Nous tenons à la fécondité de l’impasse qui nous certifie par l’absurde que le bon chemin est en amont ou vers l’aval, plus loin ou ailleurs.

Comme la brume et les abîmes rehaussent la beauté des cimes, nos erreurs exhaussent la puissance de nos efforts et l’éclat de nos réussites. Un poème chinois, où le personnage cherche dans la brume des semaines qu’enfin la cime se dévoile, me tient lieu de guide de l’enseignant. Lorsque l’adulte opte finalement pour la position d’élève, alors survient une intégration progressive de la Voie qui enchante le dojo. Dernièrement, je demandais à ce que le salut soit soigné car par lui sont déterminés le rythme, la puissance et l’écoute entre tori et uke. Savoir lire le salut de l’autre et être sincère dans son propre salut prédisposent à être juste dans la technique. Kondo senseï écrivait que « les arts martiaux commencent et finissent avec le salut. » Dès que le salut, l’attitude, le geste sont justes, nous répondons aux injonctions des maîtres. Nous convoquons leur présence. Un cours se doit d’actualiser le tao.

Mes cours sont ouverts à tous mais tous ne sont pas faits pour ce type d’enseignement. Il faut être suffisamment honnête pour dire au postulant qu’il serait plus heureux dans une autre école. Malheureusement, le nouveau venu ne le prend pas toujours aisément … Je crois que l’élève doit choisir son professeur avec attention et que la réciproque est tout aussi vraie.

Nous étudions le sabre, le bokken, le jo et les mains nues. J’aime faire sentir la proximité de toutes les techniques entre elles. Je ne veux délaisser aucun recoin de la totalité des techniques.

La coexistence de deux lignées de maîtrise offre un éclairage saisissant sur la manière de chacune. Ceci ne peut être perçu que par la pratique.

Je tiens à remercier mes élèves de m’avoir toujours suivi dans mes recherches. Lorsque j’ouvrais la possibilité d’une rencontre avec Iwami soke et l’école Hyoho Niten Ichi Ryu, ils m’ont soutenu avec enthousiasme. Quand je leur proposais de rejoindre Noro senseï, ils ont tous répondu présent. Je les remercie pour cet intérêt et cette confiance.

« Le maître est pour l’élève comme un parasol,

l’élève est comme un parasol pour le maître. » cf. Rg Veda

C’est vrai, je l’ai vérifié.

Mes élèves sont nombreux. J’ai beaucoup d’enfants et d’adolescents. Mais j’y vois ceci :

Pour les enfants, j’interprète l’adhésion massive à mes cours comme la validation de l’étude de la Voie par les parents et les enfants. Je crois que le budo garde son actualité même en cette période de crise. Je pense que notre époque est tournée vers une pensée de la crise comme cadre d’une conception du très court terme. Nous passons d’une crise alimentaire à une crise financière ; avant, nous avions la crise morale et la crise de civilisation ; demain, la crise de répartition et la crise de légitimité. Le budo nous réinsère dans le long terme qui est le seul terme où peuvent s’inscrire une éducation, un projet et un devenir. J’ai entendu qu’en cette période, il était normal que le loisir ne soit pas prioritaire dans le budget familial. Mais peut-il y avoir un projet familial sans éducation, un projet sans un devenir ? Le budo n’est pas un travail ni un loisir, ni production ni une perte de temps. Il est une étude. Pour ces raisons, mes élèves sont nombreux et assidus.

Pour les élèves adultes, la rigueur de mon enseignement, de mon adhésion aux bases et de mon exigence à étudier tous les domaines du budo, fait que je suis toujours étonné de les trouver aussi nombreux à mes cours. Ils comprennent qu’il ne s’agit pas d’apprendre vite mais profondément. C’est bien pour cela que je les trouve si nombreux malgré qu’ils ne soient pas si présents toute l’année. Même s’ils étaient réduits à une seule personne, je les trouverais encore nombreux pour une pratique aussi exigeante.

 

Mais revenons aux seiho de Musashi. Je transmets les techniques appelées seiho dans la Hyoho Niten Ichi Ryu. Seiho signifie « conduire l’énergie ». Au Japon, dans le dojo d’Iwami soke à Yokoshiro, on commence par Sassen. Il n’y a pas de préalable, ni éducatif, ni préparatoire. Il n’y a pas de pédagogie non plus. On vient apprendre les seiho. On apprend les seiho. Il revient à l’élève de s’élever vers le maître. L’élève doit fournir l’attention, l’énergie, la sincérité. Quand je me retrouvais devant le Grand Maître sans être un expert du sabre, j’avais traversé la moitié du globe pour apprendre. Je n’avais guère besoin d’aide. Quelle aide aurait pu combler la distance entre mon premier pas dans l’apprentissage de l’art de Musashi et la maîtrise de son 11e héritier ? Même le traducteur se révélait superflu. L’élève doit comprendre l’exigence du maître et le maître demande un engagement tout en intensité. Au premier cours de Niten, j’avais mal à la tête car je ne savais pas conduire mon effort, orienter mon énergie ! Cette exigence sur la force de l’esprit dès les commencements de l’étude du Hyoho Niten Ichi Ryu Kenjutsu est une caractéristique de ce style de sabre.

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Iwami soke enseigne directement à Nguyen Thanh Thiên à St Brice, 2004.
Photographie de Bruno de Hogues
© Reproduction interdite tous droits réservés

Je me suis fait la réflexion que certains élèves sont attirés vers le côté Takezo de l’art et d’autres vers celui de Musashi. J’entends par là que Takezo – c’est ainsi qu’on appelait Musashi jeune – symbolise le guerrier qui affronta 60 duels jusqu’à l’âge de 30 ans et que Musashi symbolise le guerrier après l’arrêt des duels et dont la recherche embrassa les arts de la calligraphie, de la sculpture et de la peinture ainsi que la recherche spirituelle. Ces deux images du même personnage qui recouvrent deux étapes de sa vie attirent des élèves différents. Ces deux recherches coexistent dans le dojo sans se contredire ni s’exclure. On n’épuise pas un tel personnage par une optique uniquement orientée vers le combat ni un choix exclusivement spirituel ou artistique. Pour ma part et vu mon âge, je constate que Musashi a pris une plus grande part dans mon parcours.

Lorsqu’on commence, le sabre de Musashi est très différent de celui des autres écoles. Déjà, la saisie du bokken n’est pas celle que l’on utilise en Iaï ou au Kendo. Ensuite la manière de marcher et de porter notre poids sur les appuis est très particulière. L’action des doigts et du regard porte l’énergie vers l’avant. La technique sert plutôt à nous dénuder qu’à nous cacher. On voit la personne avant de voir la technique. Il s’agit d’une immersion dans la rencontre avec l’autre. La relation Uchidachi / Shidachi est très puissante. Mais … nous répondons à la même question que toutes les écoles de sabre : « Que faire du sabre ? » La réponse ne s’énonce pas de la même manière. Identité de la question, divergence de la réponse. Je crois que le premier cours réserve une surprise : la présence d’Uchidachi et de Shidachi est marquante. Il y a une étrange intimité de l’autre. On ne peut pas fuir dans la technique. C’est une pratique qui bouscule, une exigence chaleureuse. Elle prend autant d’énergie qu’elle en donne. Mais comme dans toutes les koryu, le candidat est retenu seulement s’il correspond à l’école, pour le bien de chacun.

 

Vous êtes le seul élève d’Iwami soke en France. Vous êtes Responsable France. Pouvez-vous nous dire comment vous enseignez dans votre école ?

J’ai été nommé « Responsable Niten Ichi Ryu pour la France » par Iwami soke. Je rappelle que dans une koryu, l’intégralité de l’enseignement n’est donnée qu’à un seul élève, le futur Soke. Lui seul a reçu l’intégralité de la transmission et ainsi il est le seul en mesure de comprendre la totalité organisée et cohérente de cet enseignement. Ce n’est qu’après avoir compris que l’on peut réellement interpréter.

Pour expliquer, je dirais que Maître Yip Man, le maître de Bruce Lee, était un grand maître qui avait reçu la totalité de la transmission mais pas la charge de transmettre. Il faut que le public sache ces choses de la tradition du budo pour comprendre. Il peut y avoir plusieurs Menkyo Kaiden, ceux qui ont reçu la presque totalité de la transmission, mais un seul, le Soke (le Grand Maître), a la charge de transmettre et de diriger l’école. Celui de ma génération pour la Hyoho Niten Ichi Ryu est Iwami soke. Je connais un seul Menkyo Kaiden et un seul Menkyo décernés oralement par Iwami soke, respectivement Nagaoka senseï et Yoshihara senseï. Imaï soke a décerné 2 autres Menkyo Kaiden à Kiyonaga senseï et Chin Pin senseï. J’ai même eu l’honneur d’apporter un rouleau de Menkyo à mon ami Ricard Pous Cuberes décerné par Imaï soke, en juin 2000 ! Il demeure qu’une seule personne enseigne dans une koryu, le Soke. Dans l’optique de cette tradition, les autres membres de l’école sont ses élèves. Bien sûr, au sens occidental, le niveau de nombre de ces élèves est largement celui d’enseignant puisqu’ici, 5 à 10 ans de pratique intensive suffisent à établir un niveau d’enseignant. Nous avons là un cas d’écart culturel qui ne sera pas facile à combler, si cela est même possible …

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Au dojo de Yokoshiro pour le keiko hebdomadaire avec Iwami soke, 2006
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La deuxième ascendance de notre école nous fait rencontrer une figure tutélaire des arts martiaux japonais : Miyamoto Musashi. De ce personnage hors norme dont on peut dire qu’il survécut à 60 combats, ou encore qu’il écrivit un ouvrage central dans la pensée japonaise, mais aussi qu’il inspira une cinquantaine de fictions au cinéma et à la télévision, on peut aussi rappeler qu’il a transmis un enseignement du sabre que l’on peut étudier aujourd’hui. Je rencontre beaucoup d’intérêt sur les forums ou dans les e-mails que je reçois pour l’œuvre ou le personnage de Musashi mais il me semble aussi que le passage de la légende à la réalité d’une rencontre directe, des mangas à Tora Buri semble inhiber, voire retenir, les pratiquants d’arts martiaux. J’ai pour moi-même rencontré l’esprit de Musashi à travers ses techniques. Les seiho de la Hyoho Niten Ichi Ryu m’ont été transmis par le 11e successeur de Musashi, Iwami soke. Les cours qu’il m’a donnés ont toujours eu ce parfum à la fois de travail  en finesse et de puissance bien tenue. J’ai aussi pu goûter au cours d’Imaï soke. Le goût avait une insécable simplicité qui recouvrait une profondeur vibrante. Je me rappelle lorsqu’Iwami soke m’a mis le bokken de Musashi dans les mains, l’étrange sensation qui envahit mes avant-bras. J’ai goûté à cette énergie qui est transmise depuis Musashi et qu’aucun livre ne peut délivrer.

Vidéo sur la démonstration: Hyoho Niten Ichi-ryu Kenjutsu Official Budokan Demonstration 2010

www.youtube.com/watch

http://www.niten-france.com/

Un petit nombre de pratiquants suit les keiko que je donne. Parfois, je dois décliner la candidature de personnes qui ne correspondent pas à l’esprit du keiko. Cet enseignement est pour tous mais tous ne sont pas faits pour lui.

L’école que j’ai créée unit ces ascendances et l’énergie de mes élèves.

Pour résumer, je dirai que mon école est une histoire qui va chemin faisant au long de la Voie, de rencontre en rencontre, chaque étape apportant sa nouveauté et son enthousiasme.

Ici, en Europe, je n’ai rien changé si ce n’est … que notre corps n’est pas celui d’un Japonais. Je dois alors former le corps pour qu’il puisse bouger sans aller vers la destruction. La manière d’avancer le pied, de générer la force, d’équilibrer le haut et le bas ou la tension et le relâchement, doit devenir un temps un sujet d’étude. Sinon, on reproduit un son sans avoir appris à bien l’articuler en bouche. J’insiste sur la formation du corps. D’ailleurs, je ne fais que répéter les conseils d’Iwami soke en les étendant aux élèves européens. De par mes origines vietnamienne et anglaise, mon corps et sa manière de se mouvoir  possèdent une double référence. J’organise le geste parfois à l’oriental et d’autres fois à l’occidental. Ce choix permanent me permet de saisir intuitivement les enjeux, les écueils et les raccourcis qui autorisent le passage d’une manière d’un continent à l’autre. Dès petit, je me suis formé à cette gymnastique qui me faisait passer l’explication à travers trois langues afin d’éclairer mon interlocuteur.

Revenons sur votre parcours, avant d’être enseignant vous étiez élève, quels souvenirs gardez vous de vos professeurs, de leur approche pédagogique et de leur relation enseignant / élève ?

Je suis enseignant et tout à la fois élève. L’un a besoin de l’autre. Dès que je rencontre un maître, je suis élève.

Les souvenirs changent  et leurs interprétations aussi. On ne fait jamais assez attention à la manière dont notre esprit choisit les évènements du passé et les assemble en une narration cohérente. Je m’entraîne le plus possible, plus maintenant qu’autrefois. Chaque avancée que j’obtiens dans les arts martiaux est nourrie des efforts passés. Ainsi me revient en mémoire tel épisode qui a rendu possible le progrès du jour. Chaque obstacle dans la Voie me rappelle tel exercice que j’ai renâclé à exécuter. La séance des souvenirs revient alors à parler d’aujourd’hui plus qu’à évoquer hier, parler de soi plus que d’autrui. Je me rappelle un certain pratiquant d’un autre dojo qui colporte quelque chose que j’aurai faite alors même que c’était l’œuvre d’une autre personne. Alors, je me méfie des souvenirs !

Je venais de rencontrer Imaï soke et nous visitions un château. Il s’est mis à pleuvoir. Maître Imaï, 10ème Grand-Maître du Hyoho Niten Ichi Ryu, âgé de 86 ans, a enlevé son imperméable et m’a pris dessous et nous avons fait la visite collés ensemble sous le regard étonné des maîtres des autres ryu. Je n’ai pas oublié la simplicité de la relation maître/élève.

Un soir, un des derniers soirs où je l’ai vu, il était au dojo et me poussait à pousser plus. « Ikioï, criait-il, Pousse le souffle ! » Je vois encore son énergie à 10 mètres appelant mon énergie.

Je voudrais aussi évoquer le Vénérable Rahula Walpola, maître du Theravada. Il avait accepté un petit échange avec 10 auditeurs. Il aimait dire qu’ « il faut être tolérant mais intransigeant. » Cette rencontre a été un encouragement. Il m’a exhorté à « ne pas être trop discipliné ». Je comprends cela comme un rappel à « ne pas prendre la voie qui peut se nommer pour la Voie », avec ses mots : « La voie n’est pas la vision. » Ceci n’est surtout pas un rejet de la Voie mais son rappel.

 

Une autre fois, je posais à Sasamori Takemi soke, Grand-Maître du Itto Ryu, la question suivante : « Lorsque vous vous entraînez avec des shinaï, vous y allez avec force et vitesse. Lorsque vous prenez les vrais sabres, vous y allez doucement et lentement. Pourquoi ? » Il me fit cette réponse : « True strength is in softness. La vraie force est dans la douceur. »

Lors de mon deuxième voyage au Japon, Iwami soke, 11ème Grand-Maître du Hyoho Niten Ichi Ryu, m’enseigna pendant 20 minutes les cinq seiho de kodachi. Trois jours plus tard, je montrais en sa présence devant Imaï soke ce que j’avais retenu. Je n’ai pas oublié la difficulté de son exigence.

Une fois, je déjeunais avec les Maîtres Wang Bo et Wang Yang, père et fille, maîtres de Tai Ji Quan, de Nei Jia, de Xing Yi Chuan et de Bagua Zhang.

  

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Maître Wang Bo

Je demandais comment Maître Wang Bo avait choisi ces arts martiaux plus que d’autres. Il me fit cette réponse : « Je voulais pratiquer de telle sorte que mon Chi grandisse avec le temps jusqu’au grand âge. J’ai donc fait un tableau avec les différents kung fu d’un côté et l’âge auquel leurs grands maîtres sont morts de l’autre. Je ne gardais que ceux où les maîtres vivaient le plus vieux. » Je n’ai pas oublié ce souci de la vie qui anime ce maître.

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Maître Wang Bo

Une fois, j’eus la chance de faire Tuishou avec Maître Wang Yang. Tout à coup, alors que mes avant-bras poussaient ceux de Maître Wang Yang, je ne savais plus où étaient mes bras.

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Maîtres Wang Bo et Wang Yang


J’avais souvent vu des Tuishou mais là je découvrais quelque chose de neuf. Je crois que l’on doit faire avant de prétendre comprendre. C’est une base des arts martiaux. Alors ceux qui font des web-commentaires sur les maîtres … J’ai adoré suivre ses cours rien qu’à l’idée des idiots qui pensent que les femmes n’ont pas leur place dans les arts martiaux. Ils n’ont qu’à visiter les cours des maîtres femmes en Chine, au Japon, au Vietnam, etc., si seulement ils sont acceptés …

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Série de 3 photos : Maître Wang Yang et Nguyen Thanh Thien dans l'exercice du tuishou, 2004.
Photographie de Bruno de Hogues,
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Photographie de Bruno de Hogues,
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Photographie de Bruno de Hogues,
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Lors d’une visite au dojo de Maître Ikeda, je lui rapportais la réponse de Maître Imaï à une question de journaliste qui lui demandait en quoi son art différait des autres arts martiaux. Imaï soke répondit : « Nous ne différons en rien des autres arts martiaux. » Il parlait à partir de sa hauteur. Ikeda senseï me montra alors les différents verres, coupes et bouteilles à notre table et dit : « Des contenants différents,  un même contenu. »

 

Maître Christian Tissier m’a marqué par sa droiture. Il était venu à un repas au Sénat à mon invitation lors de la venue des maîtres de la Hyoho Niten Ichi Ryu. Je ressens son amour du Budo au-delà des clivages. Je le dis d’autant plus librement que je n’ai jamais été son élève. Je comprends la confiance qu’il inspire aux maîtres japonais et à ses élèves.

Noro senseï raconte souvent des histoires de sa formation auprès de son maître Ueshiba Moriheï senseï. Je suis toujours frappé par la proximité entre les générations de pratiquants. Les mêmes interrogations reviennent. De sa gestuelle, je suis touché par la force tout en réserve, la juste mesure, une certaine retenue. Il est celui que j’ai suivi au long des années, parfois proche, tantôt de loin. Mes gestes sont un écho de son œuvre.

Lors d'un voyage au Japon, j'eus la chance de pouvoir visiter à ma requête le dojo de Kyudo de Kokura. Il est situé juste à côté du château à quelques pas du lieu où vécut Musashi. Le dojo était magnifique et l'accueil des plus chaleureux. Le maître (dont je n'ai pas retenu le nom) nous fit une démonstration avec ses élèves. Nous suivions ravis le cours qu'ils nous présentaient. Lors de la discussion qui suivit, le maître me demande de faire quelques pas à la manière de la Hyoho Niten Ichi Ryu. Je m'exécutais. Il put ainsi mesurer mon avancée dans l'art. Je lui posais ensuite cette question : « Cher Maître, quel est le cœur de votre enseignement ? » Il désigna alors une calligraphie dans un cadre où se tenaient trois caractères : « Ne pas se dépêcher, ne pas envier, ne pas se reposer. » Je garde un souvenir ébloui de tant de beauté soutenu par tant d'exigence.

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sensei au dojo de Kyudo de Kokura 2005.
Photographie de Bruno de Hogues
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Une élève au dojo de Kyudo de Kokura se prépare à passer son examen, 2005.
Photographie de Bruno de Hogues
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J’ai eu également des professeurs qui m’ont enseigné avec exactitude et précision quelles voies je ne voulais certainement pas suivre. Ces anti-enseignements sont tout aussi précieux que les autres mais je ne peux les nommer car cela ne présente pas de caractère constructeur. Toutefois, je dois préciser que j’ai beaucoup appris techniquement de certains de ces professeurs.

 

Vous avez été amené à écrire de nombreux articles sous forme d’interview, que dire de vos rencontres ?

J’ai profité des interviews pour rencontrer les personnages, maîtres et auteurs, qui m’avaient intéressé.

De M. Kamenarovic, je retiens l’érudition et la rigueur. Il a su rendre très nettes certaines limites comme autant de chances de rencontrer l’Autre. Il vient d’écrire un livre sur la formation du lettré, entre pinceau et tir à l’arc. Je me promets de le lire au plus tôt.

De Yoko Orimo, je me rappelle l’ouverture au monde de Dôgen. Son œuvre est essentielle dans l’approche du Zen.

Les autres articles concernaient des maîtres que j’avais déjà rencontrés et appréciés. Je n’ai pas encore cité le Maître Shimada qui m’a ému par son art de la cérémonie du Thé dont l’ambition est de nous rendre humains.

Maître Eliane Boulongne m’a ouvert sa maison et nous avons échangé sur nos arts respectifs. C’était trois jours avant son passage dans l’autre Monde. Maître Boulongne a introduit l’Ikebana de l’école Sogetsu en France. Elle tenait à la rigueur de la structure dans l’éveil de la beauté. Je n’ai pas encore fait d’article sur cette rencontre. Elle me disait combien l’art moderne avait emprunté à l’Ikebana. Je lui dois un moment de connivence, une discussion à cœur ouvert, un lien que je ressens aujourd’hui encore.

Cela fait maintenant 2 ans que je travaille à un article avec M. Charles Malamoud sur « Comment l’Inde Védique perçoit-elle le guerrier ? » sous la forme d’une interview, à paraître sur mon blog personnel. Je suis très honoré et heureux que la recherche sur l’Inde ancienne rejoigne le temps d’une échange la recherche issue du dojo.

Toutes les rencontres enrichissent ma recherche. Certaines durent le temps d’un après-midi mais ne cessent de m’indisposer au sens positif du terme 10 ans après, empêchant tout repos, poussant à reprendre la route. A chaque maître qui survient sur le chemin, j’entends : « I’m on the road again … »

Ainsi ce maître Zen au Japon qui me demanda : « Comment comprenez-vous la force ? »

J’ai rencontré Maître Pous Cuberes qui est un maître d’armes espagnol spécialisé dans l’escrime historique ambidextre : l’art de la dague et de la rapière. Il est même à l’origine de mon entrée dans la Hyoho Niten Ichi Ryu. Il a été mon premier professeur en Niten. Il m’a appris ce qu’est une phrase d’armes. J’ai été émerveillé par son kata en 50 mouvements qui est construit comme une fugue de Bach. Dans cette suite, uke fait la même chose que tori avec un décalage de 6 temps. Une merveille !

Il a aussi fait des études sur des escrimeurs anciens dont un maître espagnol du 12e siècle. Il y dévoile une dimension mystique très forte.

J’ai eu l’honneur de rencontrer Maître Claude Carliez qui est Président de l’Académie d’Armes de France, une académie plus ancienne que l’Académie Française. Elle date de 1597. J’ai pu ressentir son amour de l’épée et du noble geste. Il m’a fait l’honneur de m’inviter à enseigner durant un de ses stages avec Maître Michel Olivier.

Maître Michel Olivier a pu me faire sentir l’enthousiasme qui anime les élèves français pour cet art ancien. Il avait enseigné durant un stage mémorable que j’avais organisé avec la participation de Maître Wang Yang et de moi-même. Mes élèves ont été marqués par sa gentillesse et sa maîtrise. Il est Champion de France et du Monde dans sa discipline.

Grâce à ces personnes, je travaille sur un lien des budos avec les arts du théâtre, de la danse et du cinéma. J’ai des projets dont une fiction et un documentaire avec le réalisateur Teddy Barouh  … Teddy Barouh a su trouver la justesse et l’émotion du budo dans son traitement de mon projet.

Je me suis interrogé sur le fait que partout dans le monde, les guerriers ont éprouvé le besoin de danser et de représenter leur art, leur fonction ou leur métier. Ils ont tous lié l’action et sa représentation. Il s’agit pour moi d’explorer ces registres sans affadir leur logique respective.

Futaha Zuki : 2 lames et la lune représentent votre emblème, pourquoi avoir fait ce choix et dans quelle circonstance ?

e cherchais en 2004 un emblème pour le 1er stage européen de la Hyoho Niten Ichi Ryu avec la présence des maîtres japonais dont le soke Iwami Toshio. Nous avons travaillé avec Christine Nguyen, Gregory Schurgast et François de Belen à la création de ce mon. L’idée des 2 sabres était une évidence pour l’école de Musashi. La lune symbolisait la conscience et la vacuité. Le quart de lune rappelait l’injonction de Confucius qui veut que le maître montre un quart et l’élève devine les trois quart. Les deux sabres ont aussi une autre interprétation : nous avons besoin de l’Autre pour nous élever et aussi que l’Autre ne nous soit pas identique. L’enseignement traditionnel repose sur le constat et la nécessité de l’asymétrie entre le maître et l’élève. La verticalité des sabres rappelle la nécessité d’enraciner notre énergie et de l’orienter vers le haut. Le nom fut trouvé par Shimokobe Itsuko, maître d’Ikebana : Futaha Zuki, deux lames et la lune. Cet emblème est une réelle création. Le Maire de Kitakyushu en 2005 me demanda d’ailleurs si je n’avais pas peur qu’on le copie …

Je devais me procurer une tenue de cérémonie pour participer à la réunion des écoles de kobudo à Itsukushima. Il me fallait un emblème. J’ai demandé à Maître Iwami si je pouvais prendre Futuha Zuki pour moi-même et il a répondu favorablement. Les maîtres japonais me demandent souvent quelle est l’origine et le sens de ce mon, je crois qu’ils y sont favorablement intéressés.

Vous êtes intéressé par la culture et la philosophie orientales, est-ce dû à vos origines et dans quelle mesure cela vous influence-t-il dans votre pratique martiale?

J’ai gardé une compréhension de la culture orientale malgré l’exil et les 4 décennies qui m’ont fait français. J’avais fini par me croire vraiment blanchi sous le harnais de la vie en métropole. Mais à la lecture de romans vietnamiens, je reconnus une similitude de ton, un goût pour l’action éclairée par les lettres. Dans la culture vietnamienne, la littérature garde une place très importante. Dans ma vie aussi.

Lorsque j’ai ouvert mes premiers cours, je pensais me débarrasser du poids des conventions et simplifier, voire franciser l’étiquette. J’ai vite déchanté ! L’étiquette, reishiki en Japonais, assure la juste place à chacun et diminue les conflits d’égos.

J’ai compris qu’avant de naturaliser cet art extrême-oriental, il fallait le comprendre en profondeur, que l’effort de le rendre vivant en terre étrangère nécessiterait le travail de plusieurs générations, que j’étais le maillon d’une chaîne. Le Bouddhisme a mis 4 siècles pour donner ses premiers fruits authentiquement chinois et autant pour devenir profondément japonais. Je ne crois pas qu’on sache faire plus vite ici. Je crois qu’il s’agit d’une tâche qui concerne tous les budos ainsi que les Wushus, tous les dojos et tous les enseignants. Aucun ne peut avoir seul la solution. Nous avons affaire à l’aventure d’une Waliya, une classe d’âge.

Le budo est l’étude du Tao par le versant du Bu, des arts martiaux. M. Kamenarovic est très clair dans son texte sur les différences entre Orient et Occident. L’amalgame ne sert pas la recherche.

Mon cours s’ouvre sur la pratique. On aborde l’exercice avant l’explication, le terrain avant la carte, l’acte avant sa représentation. J’aime marcher dans l’obscurité car du pas suivant vient la lumière de la compréhension pour paraphraser Maître Houeï Neng. Il s’agit de connaître directement sans invoquer l’excuse d’une mauvaise explication, d’une pédagogie défectueuse. L’effort doit rester sur l’élève !

Les arts martiaux chinois et japonais sont irrigués par l’esprit extrême-oriental. Pour moi, cet esprit est perceptible dans les textes, les cours et l’exemple des maîtres. Je suis plutôt étonné qu’on puisse enseigner le budo sans se ressourcer dans les leçons des textes, des cours et des maîtres. Même dans le Zen, il n’y a pas le mépris pour le texte comme on le croit souvent. Maître Houeï Neng (Eno en japonais) est très clair là-dessus. Comment comprendre sinon la production de Dôgen ? Les Ryu ont d’ailleurs leurs propres textes transmis de génération en génération. C’est ainsi que nous avons le Gorin no Sho.

 

 Le Budo a-t-il encore ses lettres de noblesse aujourd’hui ?

Je vois des gens qui vont tous les jours à l’enterrement du budo. Moi, je préfère pratiquer. Je pense même que je ne pratique pas assez quand un des maîtres que je connais fait 8 heures par jour quand il n’a pas le temps et un autre en moins bonne santé pratique intensément par la visualisation des gestes. Qui a vu la noblesse des maîtres vivants ne peut douter de la noblesse des arts martiaux. Qui a vu la sincérité des débutants ne peut non plus en douter. Bien sûr, il y a la mercantilisation, la tromperie, l’abus de confiance. Il y a des psychothérapies, des méthodes de management, des gymnastiques, des business, qui se réclament du budo, qui disent en partager le cœur ou l’esprit - ces mouvements ont toute légitimité à puiser dans les budos mais … ils ne sont pas le Budo -. Des écoles de commerce s’inspirent du Gorin no Sho. Des méthodes de résolution de conflit se réfèrent à l’enseignement d’Ueshiba senseï. J’ai vu aussi des pratiquants mal se comporter. Je ne tiens pas à lutter contre ces déviances. Je préfère pratiquer. Toutes les disciplines de développement personnel, toutes les méthodes de rentabilisation des efforts, tous les systèmes de défense n’abuseront que les élèves peu exigeants. Un dojo de budo est et restera un lieu où on étudie le Tao du Wu en Chinois ou en Japonais, le Do du Bu : La Voie des arts martiaux. Si l’étude première et ultime n’est pas le Tao, alors ce n’est pas un budo et nous ne sommes pas dans un dojo.

Revenons à l’expression « lettres de noblesse ». Dans le christianisme, on oppose l’esprit à la lettre mais dans le judaïsme, les lettres même de la Tora sont la manifestation de l’esprit. Chaque lettre a sa valeur, son sens apparent et son sens associé. Pareillement, l’esprit du budo est dans chaque technique, chaque posture, chaque variante. C’est le sens même de l’étude du kata. On peut oublier le sens du kata mais son étude le fera resurgir dès que l’élève se met à le travailler sincèrement.

 

Quand j’entends certaines personnes dire que le budo tend à la bestialité, je trouve cela stupide. Je ne réponds pas par principe à la stupidité. Je préfère pratiquer car la pratique ouvre l’œil du keiko. L’œil du keiko dévoile à son tour le trésor de l’œil. C’est bien là ma réponse à l’interrogation fondamentale de Dôgen : « Pourquoi pratiquer ? » < … quand on possède de fait la nature de Bouddha>. J’interrogeais le travail de Charles Malamoud sur l’Inde védique et me posais  la question de la violence présente dans le sacrifice védique. La réponse que j’ai réussi à formuler est qu’en observant notre vie, individuelle et sociale, l’on constate la violence comme d’autres la douleur dont il serait l’envers. La violence est au monde comme le regard est au jour. Si elle nous accompagne, nous ne devons pas pour autant y prendre plaisir ou satisfaction. Mais la considérer ne fait pas de l’observateur un esprit brutal et inachevé ! Non, l’art martial ne propose que l’humanisation comme réponse au monde tel qu’il est. La Voie des arts martiaux est orientée vers l’élévation. Sinon, ce ne serait pas une Voie ou un tao, mais une chute ou une dégringolade.

J’estime la position de Yoko Orimo qui veut que l’étude de la Voie demeure exempte de but, d’intérêt, de convoitise. Il s’agit de faire du Budo un art libéral, un art d’homme libre. L’art libéral est par définition celui qu’exerce un homme libre. A ce titre, Mozart était encore un serviteur et Beethoven, par l’évolution des mœurs et la lutte pour la liberté, un homme libre. Je pense que nous devons à notre tour nous libérer du désir : désir de pouvoir, désir de jouissance, désir d’ordre et même désir de liberté. Je ne crois pas que ces buts soient mauvais. Ils sont pleinement légitimes. Chacun peut rechercher à travers les keiko pouvoir, jouissance, ordre/harmonie et libération (je reprends ici les 4 buts de l’homme définis par les Védas, voir l’article de Charles Malamoud, bientôt en ligne). Cependant, le budo comme étude du Tao, est sans but. Pour que le Budo s’actualise, il faut que le pratiquant s’y adonne en profondeur pour espérer en faire un art libéral.

Quant à la noblesse, je crois à la noblesse de cœur et non à la noblesse de naissance. Cependant, dans les arts martiaux, nous considérons avant tout les actions et les paroles qui sont à manipuler avec générosité et discernement. Le geste doit transmettre le cœur, sans ostentation. La noblesse du geste donne à entendre la mesure.

 

 Etes vous un buveur de thé ?

Je bois du thé. Mes origines anglaise et vietnamienne ont préparé le terrain ! Le thé accompagne d’ailleurs mes longues heures de pratique aussi bien que mes heures de lecture. Je ne suis jamais très loin de mes théières ou de ma thermos qui m’accompagnent partout ! Je bois toutes sortes de thé. J’aime les varier en fonction de mon humeur et de l’heure de la journée. Mais je bois aussi du vin et de la bière. En fait, je bois et mange de tout. Derrière chaque aliment et chaque boisson, il y a du travail. Il y a le sacrifice d’une plante, d’un animal, d’un travailleur. Il y a du ki. Lorsque je me détourne d’un goût, je ne pense qu’à ce qui m’est agréable et oublie ce sacrifice. Lorsque j’abuse d’un aliment ou d’une boisson et que cela nuit à ma santé, alors je détourne l’énergie loin de la fortification de mon corps et de mon esprit. Je dévoie cette énergie. Pour moi, le budo c’est orienter au mieux l’énergie, seiho.

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Maître Shimada nous accueille en nous dévoilant ses trésors, 2005.
Photographie de Bruno de Hogues
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  Comme j’aime toutes les saveurs du thé, j’apprécie pareillement toutes les humeurs qui peuvent survenir durant un cours et même si je garde dans mon poing serré mon attachement au budo, à chaque instant et sans contradiction, l’humour peut surgir chez moi-même comme chez mes élèves pour rétablir une juste distance entre chacun et chaque chose.

 

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Chaque objet est une pièce de collection dont l'histoire enrichit la cérémonie.
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Pourquoi pratiquer les arts martiaux aujourd’hui ?

La réponse évolue avec l’avancée dans la pratique. Elle n’est pas la même aujourd’hui que celle d’hier ni de demain. Un aspect est qu’elle pose la question suivante : « Que défendons-nous ? » Est-ce l’homme, l’humain, des droits ou le droit à l’usage de la force ?

Lorsque l’entraînement mal conduit nous abîme plus que ne le ferait un ennemi, je crois que nous avons à réfléchir sur le sens de notre art.

Lorsque le recours à l’usage de la force peut nous conduire à une violence physique, nous endommageons notre sentiment d’humanité. Si nous protégeons l’humain, alors nous ne devons pas nous laisser aller à la violence. Il faut alors aborder autrement les arts martiaux.

Lorsque nous recherchons une plus grande puissance d’action, nous devons intégrer une réflexion sur les conséquences de notre geste. Je crois que l’effet – qui est le produit de l’efficacité – est fortement lié à la conséquence. « Quel est l’effet de mon acte ? » précède de près « Quelle est sa conséquence ? ». L’efficacité ne peut se détourner de l’exigence de discernement.

Lorsqu’une situation d’urgence nous pousse à agir, nous devons examiner profondément les issues premières, secondaires, etc. Sen Sen no Sen peut être traduit par « percevoir au-delà du perçu ». Cette notion du sabre ouvre les portes de la situation pour nous faire entrevoir une liberté d’action et donc des conséquences qu’un regard hâtif nous empêcherait de voir. Ici se posent les enjeux de liberté d’action et de nécessité de protection. Nous avons devant nous un champ d’activité qui interroge notre société sécuritaire.

La Voie des Arts martiaux interroge et répond à chaque époque selon la condition humaine de ce temps. Et cette noble Voie répond concrètement et précisément par une pratique. On doit immerger le corps dans un effort, « tremper la chemise », fatiguer les muscles pour que le tissé de l’exercice révèle en s’usant la trame de l’art. On voit aux keikogi la quantité d’efforts que la haute maîtrise requiert. Je me rappelle de la photographie du dogi de Kano Jigoro senseï, usé jusqu’à la corde par les décennies de fréquentation du dojo !

La réponse des arts martiaux est d’étendre les possibilités d’enseignement, d’ouvrir des cours et de répondre à l’enthousiasme des élèves. Je suis très heureux de pouvoir annoncer l’ouverture de deux nouveaux dojos de Hyoho Niten Ichi Ryu :

à Saint-Brice-sous-Forêt dans le Val d’Oise. Nous y avions déjà accueilli Iwami soke en 2004 et 2005. Nous y ferons quelques cours au début ainsi que des stages. La perspective de recevoir à nouveau Iwami soke pour des enseignements annuels dès 2011 est une éventualité forte qui ne peut que réjouir les élèves français et pousser plus avant le niveau en France et en Europe. Il est à souligner que les débutants sont les bienvenus ! Nous avons commencé le 20 décembre 2009

à Vielle-Aure dans les Hautes Pyrénées. J’y vais régulièrement et j’ai entrepris de partager ce que j’ai appris avec les passionnés du Sud-Ouest. Iwami soke a envisagé avec intérêt la possibilité de venir en 2012 à Vielle-Aure à mon invitation.

Prochaines venues de Iwami soke en Europe :
Pays-Bas 17-18-19 septembre 2010
France juillet/août 2011

Quelques sites internet :

 Hyoho Niten Ichi RyuLes dojos français :

Présentation de l’école :

http://nitenichiryu.wordpress.com/

Actualités internationales :

http://nitenichiryu.wordpress.com/

 

Divers liens:

Le Vénérable Rahula Walpola :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Walpola_Rahula

 L’Académie d’Armes de France :

http://www.escrime-artistique.com/aaf/

 Le site du Maître Michel Olivier :

http://www.escrime-artistique.com/

 Le site de Ikeda senseï : http://www.boulderaikikai.org/

Le site de Maître Wang Yang :  http://www.wuwo.info/

 Le site de l’école Sogetsu d’Ikebana : http://www.sogetsu.or.jp/english/

L’article de Wang Bo : http://lakischool.free.fr/Wang Bo.pdf

L’article de Yoko Orimo :http://www.nguyenthanhthien.com/2010/02/le-voyage-interieur-de-dogen-par-yoko.html

L’article de M. Kamenarovic : 

Le site de Nguyen Thanh Thien : http://www.nguyenthanhthien.com

Je tiens à remercie Monsieur Nguyen Thanh Thien pour sa patience sa disponibilité ainsi que sa modestie tout au long de notre collaboration.  Une grande partie de l'illustration vient du compte privé du site  www.flickr.com/de Monsieur Nguyen Thanh Thien.

Tcha

 


Date de création : 30/06/2010 @ 13:06
Dernière modification : 30/06/2010 @ 13:06
Catégorie : Portrait et personnage
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